Annie-Paule Quéré est consultante en identité et stratégies de marque, fondatrice de L’Atelier de la Marque. Elle accompagne des dirigeants dans la valorisation et l’actualisation de marques d’héritage ainsi que dans la création de marques reposant sur des savoir-faire d’excellence. Dans la première partie de son article, intitulé « Marques, cultivez vos signes ! Par Annie-Paule Quere (1/2) », Annie-Paule revient sur l’origine et le sens qu’un signe peut donner à une marque. Dans cette seconde partie, elle nous explique l’importance de préserver les signes, qui sont un levier du branding et renforcer l’attachement à la marque.
Par Annie-Paule QUERE, consultante en identité et stratégies de marque
Les signes racontent de belles histoires
Ils servent le story-telling, nourrissent la légende. Prenons trois marques associées à des animaux.
L’abeille – Guerlain
Les abeilles d’or sont un symbole héraldique de l’Empire. Elles évoquent l’immortalité et la résurrection. Des abeilles en or ont été découvertes dans le tombeau de Childéric, 1er roi de la dynastie mérovingienne et père de Clovis. En les choisissant pour symbole, Napoléon relie l’Empire aux origines de la France.
En 1853, Pierre-François-Pascal Guerlain crée l’Eau de Cologne Impériale pour Eugénie, alors qu’elle épouse Napoléon III. Le flacon est orné d’abeilles dorées, ses armoiries. Guerlain est nommé Parfumeur officiel. L’Eau et son flacon vont traverser le temps, best-sellers, iconiques et l’abeille devient le signe de la Maison.
Cartier – La panthère
Elle apparaît pour la première fois chez Cartier en 1914. Par une évocation de son pelage sur une montre-bracelet pavée de diamants et d’onyx, à motif tacheté.
Dans les années 1920, le félin est décliné à plat sur de petits accessoires tels que des étuis à cigarettes. Il est alors en vogue auprès de sculpteurs et dessinateurs avides d’exotisme. En 1948, Jeanne Toussaint, Directrice Artistique de la marque, crée la première panthère bijou, en volume, pour la Duchesse de Windsor.
C’est une broche en émeraude surmontée d’une panthère en or, suivie d’une seconde panthère l’année suivante, en platine, diamant et saphirs montée sur un saphir cabochon.
Succès auprès des clientes. Indépendante, élégante et dangereuse, la panthère fascine et séduit les femmes en pleine affirmation. Elle s’impose comme l’animal fétiche de Cartier. Jeanne Toussaint était elle-même surnommée la panthère…
Lacoste – le crocodile
Boston, 1923, tournoi de Coupe Davis. René Lacoste se promène en ville avant un match et tombe en admiration devant une valise en crocodile exposée dans une vitrine. Son capitaine d’équipe le motive : « Si tu gagnes le match, je t’offre cette valise ».
Lacoste perd le match. George Carens, journaliste au Boston Evening Transcript, relate la rencontre et écrit : « The young Lacoste has not won his crocodile skin suitcase but he fought like a true crocodile. ». Le surnom reste, il convient à la personnalité tenace du joueur.
Son ami Robert George dessine un crocodile que René fait broder sur ses blazers. Quand il crée sa marque en 1933, l’animal fétiche devient tout naturellement son signe, arboré sur les polos.
Les signes stimulent la créativité et composent un branding cohérent
Voici un cas d’école. La marque : Hermès. Le signe : le cheval. Hermès n’oublie jamais sa raison d’être et ses origines de sellier.
Le cheval est un point d’ancrage, un leitmotiv, une source d’inspiration inépuisable pour la création, le développement et la communication. Il construit une marque fidèle à ses racines, authentique, cohérente dans sa diversité, avec un imaginaire unique. Hermès décline et explore son signe :
– dans son logo
– dans le design de ses créations : cousu sellier en maroquinerie, motifs équestres sur les foulards ou en arts de la table, formes en étrier dans le design de montres…
– dans le naming : Calèche, Amazone, Galop, Dressage, Grand Manège…
– dans ses communications : campagnes publicitaires, films sur le duo cheval/cavalier, événement Saut d’Hermès, expositions…
– en visual merchandising. Notamment dans les mises en scène des vitrines de boutiques, comme ci-dessous à Paris.
Du branding… au co-branding. Le mariage des signes et leur revisite par l’autre sont un grand ressort des collaborations de marques. Fendi et Fila ont fusionné leurs logos le temps d’une collection capsule collector. Lacoste a remplacé son crocodile par des espèces menacées lors de l’opération “Save the species” en partenariat avec l’IUCN. Dom Perignon collabore avec des artistes pour réinterpréter sa bouteille.
Les signes renforcent l’attachement à la marque
Ils agissent comme un totem, activent le lien marque-client et la communauté de marque. Avec de multiples variantes possibles.
En mode et accessoires, le signe peut devenir un signe de ralliement. Logo Supreme, GG et bande web de Gucci, swoosh de Nike… On s’affiche fièrement avec, dans la rue ou sur Instagram. La communauté s’en empare, tant et si bien que parfois, une marque a même du mal à faire évoluer son signe (cas du logo Gap).
D’autres marques préfèrent distiller leurs signes. Subtilement, par des indices qui invitent au déchiffrage. Par exemple, Bvlgari et le fermoir Serpenti de ses sacs, clin d’œil aux codes joailliers de la Maison. Le client sait lire et apprécier la référence, le novice doit être initié. La marque produit un effet club.
Quand une marque joue avec les signes, la communauté est prête à jouer avec elle. Née en 1717, Fauré Le Page produisait des armes et articles de chasse. Elle s’est relancée en 2011 sur le marché de la maroquinerie en transposant son héritage de manière ludique, avec un slogan « armé pour séduire », un univers décalé construit autour des armes et des animaux sauvages et une communication très complice. La communauté se prête au jeu.