Dans le cadre de la promotion de sa nouvelle collection de maquillage, la Maison Dior a été accusée la semaine dernière de discrimination raciale par un grand nombre d’internautes chinois sur les réseaux sociaux. Une publication Instagram montrant une mannequin tentant de s’étirer les yeux manuellement n’a pas été du goût des internautes chinois, y voyant un acte de racisme autant que d’appropriation culturelle.
Un geste perçu comme offensant
La Maison de luxe française a posté la semaine dernière sur son compte Instagram Dior beauté une série de visuels pour promouvoir sa nouvelle collection de maquillage. Il faut dire que selon Euromonitor International, le marché de la beauté et des soins personnels en Chine devrait croître de 5% à 98 milliards de dollars en 2023.
La troisième publication postée le 10 avril – depuis rapidement retirée par la marque – a provoqué des réactions outragées de la part de nombreux internautes chinois. La photographie incriminée montre un mannequin asiatique tentant de s’étirer les yeux avec ses doigts, avec en légende “Channel your feline fierceness” (Canalisez votre férocité féline).
Les internautes chinois n’ont pas manqué de relayer la photo, vivement critiquée. Ainsi, deux jours suivant la publication polémique sur Instagram, ce sont plus de 900 commentaires – la plupart en colère – qui se sont ajoutés sous le visuel alors visible, rapporte le China Daily. “C’est de la discrimination raciale“, peut-on lire dans un des commentaires les plus populaires, ou encore “Essayez-vous de gagner de l’argent et de jouer au racisme en même temps ?” a posté un autre internaute.
La suppression du post par la marque n’a pas empêché la création d’un hashtag devenu viral “Dior makeup advertisement accused of discriminating against Asians” (publicité pour le maquillage Dior accusée de discrimination à l’égard des Asiatiques) sur Weibo. Une mention qui a été visionnée plus de 30 millions de fois en l’espace de 24 heures sur ce réseau social et qui figurait même parmi les sujets tendance sur la plateforme mardi.
Des appels au boycott de la marque de la part de certains internautes enjoignant les artistes et ambassadeurs (KOLS) à mettre un terme à leurs collaborations en cours, ont également été constatés.
Cette colère du public chinois a incité le Global Times, le journal du parti communiste chinois, à demander à la Maison Dior de présenter des excuses publiques. “Si Dior respecte vraiment le marché asiatique, il devrait faire preuve de respect et d’humilité, au lieu d’essayer de surmonter les crises publicitaires en prétendant qu’il n’était pas au courant”, a déclaré le journal dans un édito.
La Maison Dior a refusé de commenter cette information.
Des précédents
Ce n’est pas la première fois que la Maison Dior commet un impair dans sa compréhension interculturelle du marché chinois.
Ainsi, lors d’une exposition de mode organisée par Dior à Shanghai en 2021, une photo controversée prise par la célèbre photographe chinoise de mode Chen Man a suscité des réactions de colère chez certains chinois. Elle montrait un mannequin aux petits yeux, aux paupières “effrayantes”, à la peau foncée et vêtu d’un costume chinois traditionnel, tenant un sac Dior.
De nombreux internautes ont accusé la marque et le photographe d’utiliser des stéréotypes asiatiques, insultant, du même coup, la culture chinoise.
Dans un communiqué, la photographe avait ensuite présenté ses “profondes excuses”. Elle avait déclaré qu’elle acceptait toutes les critiques et se sentait coupable de son “immaturité et de son ignorance” au début de sa carrière, en 2012, lorsqu’elle avait pris la photo.
De son côté, la Maison Dior avait également publié une déclaration officielle – sans pour autant s’excuser – sur les réseaux sociaux, déclarant que la photo n’était pas une publicité pour la marque et que l’entreprise avait retiré l’ensemble des contenus liés à cette photo des plateformes en ligne et hors ligne.
La Maison de luxe s’était alors engagée à respecter les sentiments du peuple chinois, ainsi que les lois chinoises et qu’elle coopérerait avec les autorités concernées pour examiner strictement toutes les œuvres qui seraient exposées au public.
Appropriation culturelle
L’année dernière, Dior a néanmoins été accusée d’appropriation culturelle lorsqu’elle a lancé une jupe présentée comme un modèle original de la maison. Mais celle-ci avait suscité de nombreuses protestations de la part des consommateurs alors qu’elle ressemblait à un modèle chinois traditionnel de la dynastie Song – “mamianqun”, ou “jupe à tête de cheval”…
De fait, la frontière devient de plus en plus ténue entre appropriation culturelle et appréciation culturelle.
Dans la première situation, un groupe qui est ou a été oppressé estime se faire voler des éléments de sa culture sans reconnaissance ou mention visible à ladite culture. Ce procès d’intention est souvent formulé à l’encontre de créations réappropriées par des cultures longtemps considérées comme dominantes et colonisatrices.
Pour les chinois, la mémoire est encore vivace à propos d’épisodes troubles de leurs histoires, toujours enseignés à l’école comme l’occupation japonaise et le massacre de Nankin (1937) ou l’incendie du Palais d’Eté par les troupes franco-britanniques (1860).
Se sentant victimes de sentiments de moquerie ou de haine, verbale comme physique -lors de la pandémie et de la guerre commerciale américaine initiée par le président Donald Trump, les chinois sont devenus encore plus sensibles à l’image véhiculée par les marques non chinoises sur la culture chinoise sur internet.
Un regain de sentiment nationaliste (tendance Guo Chao) comme anti-occidental se manifeste dans le pays.
Or, se brider intentionnellement les yeux, comme avec la tendance #foxeyes (yeux de renard) en vigueur en 2021 sur le réseau social Tiktok, est perçu comme un geste de moquerie envers la communauté asiatique.
On peut y voir une manière de perpétuer les stéréotypes occidentaux sur les visages chinois. Il suffit de revoir la caricature de Henri Meyer, intitulé “En Chine, le gâteau des rois et des empereurs” (1898) pour comprendre que la pratique par un non-asiatique a des relents de colonialisme.
Yellow Face
Le Blackface – cette tendance pour un occidental de type caucasien de se teindre le visage en noir pour se moquer des non-blancs – a ainsi son pendant asiatique : le yellow face.
Hollywood a beaucoup usé de cette image où la couleur de peau jaune moutarde autant que des yeux artificiellement bridés avec de l’adhésif ou des prothèses chez des acteurs non-asiatiques, a servi à véhiculer une image raciste de méchants aussi sinistres que grotesques, tels que le personnage de Fu Manchu.
Dans le cas de Dior, le fait que la mannequin soit asiatique ne la rend pas davantage pardonnable. En effet, les mannequins asiatiques trop bridés dérangent au point que certaines campagnes comme Mercedes Benz et Gucci ont suscité la polémique. Et il semble que le canon de beauté chinois consistant en “une peau claire et de grands yeux ronds”, né – d’après les experts – de l’exposition des populations aux publicités occidentales dans les années 1970 soit toujours en vigueur.
La polémique rappelle le risque que fait peser un tel dérapage sur l’image de marque.
Ainsi, une mini vidéo de Dolce Gabbana sur Weibo pour son défilé de Shanghai en 2018, censée provoquer le rire du public, à la vue d’une mannequin asiatique tentant de manger des spaghettis avec des baguettes, dans un décor de Chine pré-industrielle, avait eu un retentissement sans précédent. Malgré la colère, la marque avait choisi de passer outre. Or, des révélations off-the-record par le “dé-influenceur” Diet Prada -dont la vocation est de révéler l’envers du décor dans le luxe- avaient révélé le profond mépris des créateurs de la marque italienne pour la clientèle chinoise. La réaction ne s’était pas fait attendre : appel au boycott et autodafés filmés de produits siglés, déréférencement sur les plateformes de e-commerce chinoises, retraits de certains mannequins et ambassadeurs chinois, prise de distance des distributeurs européens et américains.
Bien qu’aujourd’hui le climat soit plus apaisé, la vidéo épurée d’excuse de la part des créateurs n’avait pas suffi à calmer la situation, au point que les analystes estimaient que l’affaire aurait pu coûter jusqu’à 500 millions de dollars de manque à gagner à Dolce & Gabbana, mettant en danger la viabilité de la marque.
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