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[CHRONIQUE] Quelle Expérience client proposer face à la frustration générée par les stratégies de la rareté ?

Il a très longtemps semblé que luxe et rareté étaient indissociables. Puis l’avènement du e-commerce et celui des grands groupes de luxe dans les années 90/2000 avait comme balayé cette vieille habitude pour inonder nos feeds et boutiques de produits de luxe.

 

Cependant, depuis plusieurs mois, les Maisons (ré)adoptant la stratégie de la rareté sont de plus en plus nombreuses. Qu’entend-on au juste par « stratégie de la rareté » ? A l’heure de l’immédiateté et du partage, la rareté a-t-elle encore un sens ? Et comment gérer les frustrations des clients face à cette rareté plus ou moins orchestrée ?

 

Co-fondateur et directeur général de l’agence d’expérience de marque Héroïne, Rémi Le Druillenec vous invite à explorer les ressorts parfois méconnus de l’expérience client et du marketing dans le luxe. Pour cette première chronique, cap sur le graal que toute Maison de luxe cherche à préserver pour accroître sa désirabilité et donc sa rentabilité : la rareté.

 

Maisons de luxe et rareté, une longue histoire

 

Pour de nombreuses Maisons, cette notion de rareté – notamment dans la distribution et les quantités disponibles de produits – garantissait une désirabilité maximale et le maintien des prix hauts, en dépit du contexte économique. Le rachat d’un certain nombre d’entre elles par des groupes internationaux et la nécessité (imposée) d’une présence en ligne ont rendu cette rareté quasi impossible.

 

En tout cas c’est ce que beaucoup croyaient ! En effet, les initiatives visant à raréfier la présence ou les expressions des marques se multiplient, au point de surprendre les plus avertis. Boutiques réservées aux clients les plus importants (Chanel, Gucci…), liste d’attente produit de plusieurs mois, montant maximum d’achat plafonné, sont quelques-unes des résurgences de ces stratégies.

 

D’autres Maisons préfèrent disparaître des réseaux sociaux et n’hésitent pas, à l’image de Bottega Veneta, à supprimer leurs comptes officiels pour laisser la parole à leur communauté. Au-delà d’interroger sur le modèle économique associé, on ne peut s’empêcher de penser à l’équilibre que ces marques doivent désormais trouver entre rareté, désirabilité et satisfaction client.

 

A chaque marque sa stratégie

 

En matière de stratégie de la rareté il y a trois écoles. Chacune d’entre elles va adopter un levier tout particulier et extrêmement efficace.

 

La première catégorie, et sans doute celle qui préexiste aux deux autres, est celle du savoir-faire. Que ce soit le sellier et harnacheur Hermès, la manufacture historique Audemars Piguet ou encore l’horloger de la transmission Patek Philippe, ces trois Maisons s’illustrent particulièrement bien dans la valorisation de leur savoir-faire, à travers la rareté de leurs productions.

 

© Audemars Piguet

 

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Dans ce cas, le mode de travail artisanal, les limites de la confection manuelle et la rigoureuse sélection des matériaux, sont quelques-unes des raisons invoquées pour justifier des temps d’attente très longs voire l’impossibilité de se procurer les précieux produits. Ce travail d’exception devient alors l’argument ultime de désirabilité du produit mais aussi de construction d’une image de marque solide et exclusive. De plus, cette stratégie de la rareté liée au savoir-faire, induit la notion d’intemporalité de la marque et d’un investissement éclairé.

 

D’autres Maisons préfèrent se tourner vers la stratégie d’iconisation du produit. L’une des plus emblématiques est certainement Chanel qui a réussi à faire de son petit sac classique un « it-bag » malgré une politique tarifaire en très forte progression ces dernières années (le prix du sac Timeless a augmenté de + 75 % en quatre ans).

 

© Chanel

 

L’augmentation des prix permet alors d’absorber la réduction des quantités de production et ainsi sécuriser le business tout en augmentant la désirabilité du fameux sac. Le produit ainsi iconisé devient alors un symbole de la marque et de son histoire et participe activement à l’imaginaire si cher aux clients de ces Maisons. Posséder une de ces pièces devient un véritable privilège pour son propriétaire chez qui fierté et sentiment d’exclusivité se côtoient.

 

Enfin, il y a les marques qui privilégient la stratégie d’hystérisation des collections, en multipliant les collections capsules et collaborations diverses. Le joaillier américain Tiffany & Co (notamment la collaboration avec Nike) ou encore les marques de luxe italiennes (Fendi, Versace, Prada…), cherchent à attiser la curiosité des clients en proposant de nouveaux designs et en créant un sentiment d’urgence autour de leurs produits. Elles jouent sur l’effet de rareté avec des artifices comme les collaborations pour remédier à la banalisation des collections issues du cœur de métier et recouvrer de leur superbe.

 

© Tiffany & Co

 

L’effet de rareté crée ici un sentiment d’urgence et fait appel à un mécanisme très primaire de notre cerveau. Le cortisol (l’hormone du stress) ainsi produite, a tendance à geler notre cerveau et à favoriser les décisions rapides et irréfléchies. Notre cerveau reptilien va, par instinct de survie, chercher à combler un manque potentiel.

 

Ainsi, cet effet de rareté est intimement lié au FOMO, la « peur de rater quelque chose ». L’achat impulsif est alors le moyen de libérer une dose de dopamine (l’hormone du plaisir), soulageant le stress et participant même à une sensation de bien-être ! Les clients et autres fans de la marque ayant réussi à se procurer le produit tant convoité et désiré se trouvent alors apaisés. La jouissance du produit si rare (et donc si précieux à leurs yeux) entraîne pour beaucoup un réel sentiment de fierté.

 

Des stratégies génératrices de frustrations

 

Même si les stratégies de la rareté sont diverses, il y a malgré tout un point commun entre elles : les frustrations qu’elles génèrent chez les clients et notamment la façon dont le temps d’attente est géré. Pour relever ce défi, deux axes de travail se dessinent.

 

Tout d’abord, la gestion de l’attente transactionnelle.

 

Elle consiste à agir sur les points de frictions directement liés à l’acte d’achat et aux temps d’attente pour se procurer le produit. L’attente est davantage une question de perception que de temps, même s’il n’y a pas de temps d’attente idéal. En revanche, travailler à occuper au mieux ces temps d’attente permet d’atténuer la perception de temps perdu et donc de réduire l’agacement client. Cela peut prendre des formes diverses et commencer par proposer des attentes virtuelles, pour se libérer de l’interminable file d’attente à l’entrée de la boutique. Pour ceux qui sont rassurés par le fait d’être présent physiquement, leur donner une estimation du temps d’attente restant, comme le font les équipes Louis Vuitton, favorise la réduction de la perception d’une attente sans fin. Le choix fait par Cartier d’inviter une chorale Gospel devant certaines boutiques rend moins pénible ces quelques minutes. Enfin, proposer du contenu de marque, qu’il soit ludique ou pédagogique est une autre option très efficace.

 

Il est essentiel de proposer des expériences suffisamment fortes pour engager le client émotionnellement avec la marque, en dehors du parcours d’attente lié au produit.

 

En effet, les Maisons peuvent offrir des moments privilégiés à leurs clients pour leur faire oublier leur frustration, voire pardonner cette attente et réenchanter la relation. Panerai offre par exemple des expériences extrêmes exclusives aux acheteurs de ses montres Submersible en édition limitée. Les clients peuvent vivre un stage au centre d’entraînement du GIGN, une expédition au pôle Nord avec Mike Horn ou encore une plongée d’élite avec Guillaume Néry. Ces moments privilégiés proposés par les marques peuvent également être une invitation à un événement exclusif, à un concert, à une exposition avec visite guidée privée… Toutes ces expériences ne nécessitent pas la disponibilité du produit, elles s’en affranchissent même pour habiter le temps d’attente et proposer aux clients des rendez-vous uniques avec la marque.

 

© Panerai

 

La stratégie de la rareté, quel que soit le modèle retenu par la marque, doit donc être associée à une générosité relationnelle et émotionnelle. L’obtention du produit devient alors un prétexte à un voyage engageant dans l’univers de la marque où expériences exclusives et rendez-vous viennent renforcer l’attachement à la Maison.

 

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Photo à la Une : Unsplash

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