/
7 mins lecture

[ENQUÊTE] Corée du Sud : Quand le luxe occidental courtise la K-pop (Partie 5/5)

La conquête du luxe en Corée repose en grande partie sur le soft power que promet la Hallyu. Une vague coréenne si populaire dans le monde qu’elle a même donné lieu à une nouvelle fonction : le sponsoring de luxe. Certaines maisons de production comme SG Entertainment se sont même spécialisées dedans. 

Ultime étape de notre série d’été spéciale Corée, qui plus est dans le monde merveilleux de la K-pop.

Au terme de notre voyage voyons plus en détail la relation intime qu’a développé l’industrie du luxe avec ce milieu musical, hier taxé de niche et aujourd’hui phénomène mondial. L’occasion de revenir sur le tournant BlackPink et ses itérations les plus récentes, dont Alpha Ray, groupe k-pop en passe d’être lancé par SG Entertainment.

 

Luxe et K-pop : une relation en mutation

 

2023 a assurément présenté en record : celui des annonces faites par les Maisons de luxe de recrutement de stars issues du mouvement musical K-pop comme ambassadrices de marques. 

Pour autant, le phénomène n’est pas aussi soudain qu’il en a l’air

Tout a commencé en 2003 avec Emporio Armani qui s’est rapproché du groupe BoA. 

Les débuts étaient plutôt timides et discrets. 

Onze ans s’écoulent, entre-temps, PSY et son Gangnam Style inondent les ondes et c’est un raz de marée. La K-pop gagne alors une visibilité sans précédent. 

Le phénomène est suffisamment important pour que l’année suivante (2015), Chanel fasse appel à GDragon de BigBang pour lancer une paire de sneakers. 

Ce n’est toutefois qu’en 2018, que cette même Maison de luxe choisit son ambassadeur de marque à partir de la scène musicale coréenne. 

Une certaine Jennie du groupe BlackPink décroche le titre convoité. Cet acte marque le début de l’idylle entre le luxe et la k-pop, qui connait un net coup d’accélération avec la reconnaissance internationale du groupe BTS

 

Mais de loin c’est le groupe BlackPink qui s’inscrit comme le champion en titre, inscrivant l’ensemble de ses membres dans ce mouvement de fond. 

 

BlackPink ou la naissance du sponsoring de luxe

 

Avant d’être un repère d’ambassadrices pour les plus grandes marques de luxe internationales, BlackPink est d’abord un girls band fondé en 2016 par YG Entertainment qui peut se targuer d’avoir vendu trois millions d’albums et enregistré 12,6 milliards de streams dont 276,3 millions en France. 

 

[arm_restrict_content plan=”1,” type=”show”]

 

En août 2022, le single Pink Venom a d’ailleurs été le meilleur démarrage en France du groupe avec 981 000 écoutes en une semaine. Depuis, le groupe a atteint une popularité qui a transcendé l’Asie, avec notamment des participations en 2023 au festival californien Coachella ainsi qu’au très british Glastonbury. 

 

©DIOR, Photographie par Brigitte Lacombe

 

Porteuses de valeurs confucéennes et d’une popularité hors norme qui ne se dément pas, les quatre membres du groupe n’ont pas tardé à être recrutés par, entre autres, les principales Maisons du groupe LVMH. Une initiative en partie impulsée par deux des héritiers du groupe LVMH, Delphine et Frédéric Arnault lors de leur nomination respective à la direction générale de Dior et de Tiffany & Co. 

 

Signe du succès du groupe, Jisoo en couverture du Vogue France du mois de mars a permis d’écouler le magazine en kiosque comme jamais. En outre, celle-ci a indirectement entraîné l’arrêt temporaire du site marchand de Dior, à la suite d’une rupture de stock fulgurante sur la robe noire de la Maison qu’elle portait dans le numéro. 

 

Pour Thomas Sommer, les membres de BlackPink sont également des pionnières dans les programmes ambassadeurs de luxe, en vigueur dans l’écosystème K-pop. 

 

A ce jeu-là, Jennie a été la première idol K-pop à être ambassadrice pour des marques de luxe française – en l’occurrence Chanel – en octobre 2018.  Depuis, chacune des membres est ambassadrice auprès de deux marques de luxe

 

Pour la sociologue et co-auteur de l’ouvrage K-pop, Soft Power et culture Globale, Sophie Octobre, “prendre des égéries originaires de ces régions du monde n’est pas seulement destiné à ces zones géographiques mais vise à parler au monde global puisque ce sont des stars populaires partout.”

 

Si les marques de luxe, notamment celles du conglomérat LVMH, ont exprimé un vif engouement pour le groupe, c’est, d’après Thomas Sommer, en partie en raison de la différenciation extraordinairement marquée au sein du groupe. 

 

Une différenciation qui s’observe déjà d’un point de vue esthétique. Par leur tenues vestimentaires, leur maquillage comme leur attitude, les Black Pink contrastent fortement avec l’univers K-pop, plutôt sirupeux et girly. 

 

BlackPink est plus proche du style occidental que de la K-pop © Presse

 

Comme le précise Thomas Sommer – (SG Entertainment), “chaque membre de BlackPink a une personnalité très affirmée”, on ne peut donc pas donner les paroles de Lisa à Jennie et vice versa. 

 

Une démarche insolite quand on sait que d’ordinaire les Maisons de production s’attachent plutôt au fait d’avoir “des gens beaux, purs, intégrés et qui puissent servir d’exemple.”

 

YG Entertainment s’est également donné les moyens de cette différenciation en systématisant dans la presse des photos prises en contreplongée du groupe, de quoi renforcer leur stature et créer d’office un sentiment d’exclusivité. 

 

Cet engouement des marques de luxe s’explique également dans les valeurs véhiculées sur scène et au gré des interviews, alignées avec les combats actuels des grandes Maisons liés à l’égalité homme-femme comme l’affirmation de soi, l’indépendance ou l’idée de femmes entrepreneuses de type “Girl Boss”. Des causes qui, en dehors de la sphère médiatique, n’ont pas encore eu de réelle résonance dans le pays. 

 

L’autre raison est à trouver du côté de BTS – le premier groupe de K-pop à chanter en langue anglaise. 

 

Ainsi, les quatre chanteuses de BlackPink parlent parfaitement coréen et japonais et trois d’entre elles sont mêmes bilingues anglais (Rosé, Jennie, Lisa). En tout, si l’on inclut les langues parlées par un seul membre (thaï pour Lisa et mandarin pour Jisoo), le groupe peut s’adresser à ses fans dans pas moins de cinq langues différentes

 

Un énorme avantage pour un marché globalisé comme le luxe, soucieux de préserver son image, de séduire les jeunes générations sans pour autant s’aliéner sa clientèle historique. 

 

Une relève assurée

 

Depuis le succès phénoménal de BlackPink, le rythme de production des groupes de K-pop s’est encore accéléré au point que des groupes à peine créés comme Aespa ou New Jeans ont déjà été recrutés comme ambassadeurs par des marques de luxe. 

C’est dans ce contexte que SG Entertainment, dirigé par Thomas Sommer, a créé un groupe pensé dès le départ pour répondre aux nombreuses desiderata des marques de luxe : Alpha Ray. 

 

Alpha Ray, le groupe de K-pop actuellement en préparation chez SG Entertainment, en reprenant les codes du luxe, ne manquera pas d’encourager les programmes d’ambassadeurs de marque. © SG Entertainment

 

A l’instar de BlackPink, ce girls band sera composé de quatre membres, chacun ayant une personnalité qui lui est propre

 

Un projet qui a été développé par Joon Hae Spielmann, fondateur de la maison de production et issu de la noblesse allemande. 

 

Selon Thomas Sommer, il s’agit pour SG Entertainment de “proposer [sa] propre ligne de vêtements et accessoires en série limitée en traitant directement avec [ses] partenaires créateurs du luxe français dont l’agence a gagné la confiance notamment grâce à l’univers du groupe Alpha Ray.”

Ces séries limitées seront ainsi “les équivalents des reliques liées aux idoles et aux marques de luxe.”

 

Quant à savoir si le phénomène K-pop sera durable, le co-dirigeant de SG Entertainment se montre confiant :Le comportement d’achat passionné des fans pour d’autres univers va perdurer à mesure que le contexte socio-économique va se durcir.” Et de préciser démontrer l’appartenance à une communauté de cœur, tout comme suivre l’exemple de personnes qui réussissent, est en train de devenir le moteur d’une économie qui ne cesse de tendre vers ce désir d’être constamment meilleur”. 

 

En conclusion, recourir à des références visibles ou plus allusives à la culture coréenne permet aux marques de luxe d’adopter un mode d’expression plus consensuel et universel et de  s’éviter des procès d’intention pour impérialisme, appropriation culturelle ou comportement déviant. 

Ainsi, choisir le membre d’un groupe de K-pop comme ambassadeur de marque, c’est bénéficier de l’exemplarité et du volontarisme de celui-ci autant que des soutiens particulièrement loyaux de son fan club, jusque sur les réseaux sociaux. 

 

Reste que là encore, le luxe étant une industrie mondialisée, il est vital de proposer une grande diversité de représentations issues de ses marchés clés. 

 

Chine, Japon et Thaïlande n’ont toutefois pas dit leur dernier mot. Et l’apparition chez Gucci d’une ambassadrice indienne montre bien encore une autre voie au devenir asiatique du luxe

Ainsi, d’après les données du cabinet Bain partagées par Joëlle de Montgolfier, le sous-continent a connu en 2022 une progression de ses ventes de produits de luxe de 40% à taux de change constant. 

 

[/arm_restrict_content]

[arm_restrict_content plan=”1,” type=”hide”]

[elementor-template id=”101048″]

[/arm_restrict_content]

 

Prolongez l’aventure K-pop à travers une interview exclusive de Lisa, membre du quatuor BlackPink et ambassadrice du joaillier Bvlgari. 

Un entretien à retrouver dans notre magazine Print – complémentaire de votre expérience de lecture sur le site – accessible pour nos abonnés en version papier ou digitale. 

 

Photo à la Une : © Tiffany & Co

 

Lire aussi > [ENQUÊTE] CORÉE DU SUD : POURQUOI LE PAYS SÉDUIT AUTANT LE LUXE EN 2023 (PARTIE 1/5)

 

Victor Gosselin

Victor Gosselin is a journalist specializing in luxury, HR, tech, retail, and editorial consulting. A graduate of EIML Paris, he has been working in the luxury industry for 9 years. Fond of fashion, Asia, history, and long format, this ex-Welcome To The Jungle and Time To Disrupt likes to analyze the news from a sociological and cultural angle.

Article précédent

Creed buyout: Kering launches a bond issue

Article suivant

Officine Universelle Buly, owned by LVMH since April 2021, puts old-fashioned vegetables on the map

Dernier en date de